Centre Pompidou Paris

MUSÉE NATIONAL D'ART MODERNE - CENTRE GEORGE POMPIDOU | Place Georges-Pompidou
F-75004 Paris

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Philosophe, théologien, écrivain, traducteur, Pierre Klossowski développe pendant des années une oeuvre littéraire. Il dessine en parallèle à la mine de plomb, mais le noir et blanc n'est pas assez « parlant », c'est un accompagnement de ses écrits. Puis l'écriture se délie pour cerner des formes, la couleur remplit les surfaces de grands formats pour créer des images qui deviennent la seule expression de l'artiste.

"Je n'ai pas mené les deux activités de front, mais de manière alternative. Il y a eu la période des dessins à la mine de plomb qui coexistaient, de fait, avec l'écriture. Puis la découverte de la couleur, qui a correspondu à l'abandon de l'écriture. La satisfaction que me donnait cette expérience m'amena à lui sacrifier du même coup le temps qu'elle exigeait. Cette façon de s'exprimer, apparemment primitive parce qu'immédiate relativement à l'écriture, ne pouvait souffrir la concomitance avec la communication écrite, qui est toujours indirecte quant à l'émotion vécue. À savoir que le langage, en tant qu'il relève du sens commun, altère le motif particulier eu égard à la réceptivité générale. Renonçant à l'écriture qui prêtait constamment aux malentendus, je m'isolais à ne me prononcer plus autrement que par le tableau. Quitte à faire sentir mes visions à mes contemporains plutôt qu'à les leur faire comprendre." Pierre Klossowski, La Ressemblance

Pierre Klossowski - Texte du dépliant de l'exposition

La vie de l'artiste

Pierre Klossowski est né en 1905, dans une famille où la peinture tient une place importante. Erich, son père, est historien de l'art, peintre et décorateur de théâtre, sa mère, Baladine, est une élève de Bonnard. Derain, Maurice Denis, le marchand d'art Ambroise Vollard fréquentent leur maison. Il est aussi le frère aîné de Balthasar qui deviendra le peintre connu sous le nom de Balthus. Son éducation, essentiellement littéraire, s'effectue partagée entre Paris, Berlin et la Suisse, sous l'aile de Rilke, grâce à qui Klossowski rencontre très tôt Gide.

En 1930 il débute une carrière de traducteur par la traduction des Poèmes de la folie de Hölderlin qu'il mène à bien avec Pierre-Jean Jouve. C'est à ce moment qu'il découvre l'oeuvre de Sade et qu'il s'approche des milieux psychanalytiques. Il se lie, dans le courant des années trente avec Georges Bataille et André Masson, fait partie du groupe Contre Attaque et collabore à la revue « Acéphale ». Pendant l'occupation, tenté par la vie monastique, il entreprend des études de scolastique et de théologie, entre au noviciat chez les dominicains, expérience de la vie religieuse et crise personnelle qu'il évoquera dans son premier « roman » La Vocation suspendue (1950).

En 1947 il épouse Denise Marie Roberte Morin-Sinclaire et publie un ouvrage retentissant, Sade, mon prochain. Il poursuit son intense activité de traduction : Kafka, Benjamin, Virgile, Nietzsche, Klee, Wittgenstein, Rilke, Heidegger, Kierkegaard, Suétone et d'autres –, tout en écrivant ses propres fictions et essais : Roberte, ce soir (1954), La Révocation de l'édit de Nantes (1959), Le Souffleur ou le Théâtre de société (1960), qui seront regroupés dans une trilogie, Les Lois de l'hospitalité (1965), Le Bain de Diane (1956), Le Baphomet (1965), etc. À partir des années 1970, il expose régulièrement à Paris, en Italie, à New York, à la Documenta de Kassel… Il est mêlé à de nombreux projets cinématographiques, collaborant avec Raoul Ruiz, Pierre Zucca et Alain Fleischer.

Pierre Klossowski meurt en août 2001.

KLOSSOWSKI LE MONOMANE

« Retenez bien ceci pour la joie de mes détracteurs : je ne suis ni un "écrivain", ni un "penseur" ni un "philosophe" – ni quoi que ce soit dans aucun mode d' expression –, rien de tout cela avant d'avoir été, d'être et de rester un monomane » (1)

Qu'il écrive, qu'il dessine ou qu'il mette en scène pour la caméra, ses motifs – des fantasmes obsessionnels – traduisent toujours les mêmes visions, qui reviennent sans cesse. Jusqu'au début des années 1960, Klossowski développe une oeuvre littéraire, regroupée pour l'essentiel sous le titre des Lois de l'Hospitalité ; ses fictions, comme ses traductions et ses textes théoriques autour de Sade et Nietzsche suscitent l'intérêt des intellectuels français : Georges Bataille, puis Maurice Blanchot, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, Jacques Derrida, Michel Foucault, etc. « J'ai souvent répété que certains de mes livres se sont élaborés, à l'origine, telles des descriptions de tableaux ou de spectacles, notamment cinématographiques. » À partir des années 1970, le dessin prend le pas sur l'écriture. Sa participation à l'élaboration, par Pierre Zucca et Raoul Ruiz, de plusieurs films tirés de ses fictions, et dans lesquels il lui arrive de jouer son propre rôle, exaspère encore son besoin de vision, la fascination qu'exerce sur lui la chose vue. Ses références, le mélange complexe de celles-ci, sont plutôt inattendues (la théologie augustinienne, la théâtrique romaine, les écrits de Sade, la mythologie antique). Elles nourrissent ce « culte des images » auquel est vouée toute l'oeuvre de Klossowski.

Dans un processus d'autofiction, troublant définitivement la démarcation entre le privé et l'universel, le quotidien et le mythe, Klossowski fait poser ses proches pour la création de ces grands « tableaux vivants » dessinés, qui, pour la plupart, sont des variations sur et autour de l'histoire de Roberte, l'héroïne des Lois de l'Hospitalité. Sous les traits de sa femme Denise, Roberte devient son « signe unique », avatar contemporain, actualisé, de Diane, de Lucrèce ou de Judith… Un jeune éphèbe du nom d'Ogier, héros de son roman Le Baphomet, en sera le pendant masculin. Regarder ses dessins est une expérience singulière car ils mettent en scène, selon les stéréotypes formels les plus éculés, à la fois des thèmes de la grande culture classique et des images populaires, saisies par un trait tour à tour élégant et maladroit. Nous sommes devant des visions de figures fantômes diaphanes et presque transparentes. Les images ont l'air de venir de loin, elles ont pour point de départ des pensées qui nous sont à la fois familières et étrangères, elles racontent des histoires mythiques d'un autre temps et pourtant elles nous fascinent comme des situations coutumières dont nous deviendrions les complices. (1)

LES DICTÉES DE L'IMAGE

« L'image me dicte ce que je dois dire. Oui, la vision exige que je dise tout ce que me donne la vision et tout ce que je trouve dans la vision. Nous fermons les yeux, ou bien nous les gardons ouverts, mais si nous les fermons, nous voyons tout à fait autre chose que ce qui se passe effectivement, nous voyons ce dont nous parlons. »

Les visions dessinées par Pierre Klossowski reprennent ou annoncent des scènes décrites – toujours avec la plus grande précision – dans ses romans ; d'une certaine façon, ce sont des illustrations. On pourrait aussi dire qu'elles sont les traductions possibles de son texte et qu'elles posent les mêmes problèmes que ses traductions littéraires. Elles mettent en forme la matière dont elles émergent dans un processus de métamorphoses sans fin : leur traduction dessinée n'en est jamais achevée, on pourrait même ajouter qu'elle est impossible, qu'il faut sans cesse la reprendre, la rejouer. Les personnages grandeur nature, ou, au contraire, grossis ou diminués selon la vision gullivérienne disproportionnée que Klossowski adopte, sont dessinés au crayon de couleur. L'on imagine sans peine que la réalisation est longue, fastidieuse, faite de gestes répétitifs. Ses figures semblent des « esprits » insaisissables, des spectres transparents et fuyants que de multiples saisies n'arrivent pas à fixer. Une lumière diffuse, douceâtre, les enveloppe et renforce encore l'aspect artificiel des scènes.

Pierre Klossowski tient à ce que ses grandes compositions se présentent comme des peintures murales et leur similitude avec les fresques de la Villa des Mystères à Pompéi souligne encore leur fonction initiatique. Travaillant sous la dictée de sa vision, attentif à sa lente émergence sous sa main, il se soumet à l'énigme de l'image, tente de faire apparaître les secrets qu'elle enferme et l'ambivalence irréductible des figures. Plusieurs commentateurs ont insisté sur l'aspect « épiphanique », voire « théophanique » de ses dessins. La précision anatomique n'est pas de mise, les visages sont approximatifs, les corps sont lisses et les détails des muscles ou le dessin des articulations absents : seuls comptent les gestes et postures, à la signification troublante, de cette « pantomime d'esprits » qu'il donne à voir. Grands parchemins comme usés par le temps, ces dessins fragiles, mais d'échelle monumentale, intriguent : Pierre Klossowski joue de ces contradictions ou de ces tensions, allie le monumental au précaire, l'éternel à l'accidentel, l'intemporel au quotidien. Il introduit des détails contemporains dans une scène mythologique, multipliant ainsi les anachronismes. De même, son usage enfantin du crayon de couleur apparaît paradoxal, appliqué au dessin de toutes ces scènes de viols.

LE THÉÂTRE DE SOCIÉTÉ

La « suspension » est un thème central chez Klossowski. C'est aussi le mode d'apparition de ses images, qui sont des sortes de « tableaux vivants » où les figurants prennent la pose, dans l'espace et l'instant que leur désigne l'artiste. Klossowski est attentif à toutes les formes de « solécisme », terme qui signifie la contradiction entre le geste et l'intention secrète, qui animent ses personnages. Par exemple Roberte violentée qui sourit, Judith révélant sa jouissance tout en décapitant Holopherne. Cette ambiguïté profonde de la vie est celle du « théâtre de société » dont le genre était prisé aux 18e et 19e siècles. Les lectures en sont multiples, les personnages sont à la fois eux-mêmes et leurs doubles. On ne sait s'ils jouent ou revivent l'action, qu'ils reprennent à l'infini. Cette possibilité qui consiste à revenir sans cesse au point de départ est un élément important pour Klossowski : sa référence au mythe de l'éternel retour de Nietzsche est primordiale.

Toute entière vouée à l'image, et à la figuration, l'oeuvre dessiné de Klossowski, qui semble à rebours de son temps, trouve aujourd'hui une nouvelle actualité. Les passages qu'il établit entre écriture, dessin, tableau vivant, photographie, scène filmée, qui sont pour lui autant de moments d'une même quête de l'insaisissable et de l'inéchangeable, ces glissements opérationnels existant d'un moyen expressif à l'autre, rejoignent le questionnement actuel sur les fondements de l'image, et la nature proprement artificieuse et artificielle de celle-ci : entre la vie et la fiction, entre le réel et son leurre, point de frontière, mais un jeu permanent de miroirs.

Michel Gouèry

(1) Pierre Klossowski, La Ressemblance

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Pierre Klossowski

Stationen:
20.09.06 - 19.11.06 Whitechapel Art Gallery, London
22.12.06 - 18.03.07 Museum Ludwig Köln
04.04.07 - 04.06.07 Centre Pompidou, Paris