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Hubert Duprat noue et défait l'ordre strict entre nature et artifice, il joue sur les ambiguïtés et travaille en terme de contrastes et de liaisons, donnant la possibilité à l'imaginaire de saisir ses objets et de les déplacer de leur réalité vers la contemplation, voire le rêve. Pour cette nouvelle exposition, il installe dans la galerie du Frac cinq sculptures et réalise une oeuvre in situ, un mur criblé de plomb. Dans la pure tradition, il est question de tailler, de prélever, de soustraire, mais aussi de modeler, de façonner, la matière, plastique. Le travail sur les formes s'effectue essentiellement entre des surfaces à altérations organiques et des surfaces à altérations géométriques. Le tissage se fait sans ordre régulier si ce n'est un ordre conceptuel. Duprat explore et assemble toutes sortes de matériaux plus au moins précieux pour en capter la lumière et signifier d'une certaine manière les manifestations couplées et antagonistes du pur et de l'impur. La première pièce vient barrer la perspective du lieu, il s'agit d'un énorme bloc de pâte à modeler, d'un blanc quasi-immaculé. Première présence qui captive le regard et le met d'emblée paradoxalement à distance de la réalité ordinaire. L'artiste laisse parler la matière et sa force. Par un jeu obscur et contradictoire, élasticité et mollesse se confrontent à la pression de la masse. La venue du sens résiste, un nouveau rapport se construit entre apparence et réalité, singulier et commun, visible et signification.

Hubert Duprat - Sans titre - 2008 Hubert Duprat - Sans titre - 2008 Hubert Duprat - Sans titre - 2008

Plus loin les objets s'alignent, du monolithe informe nous passons à une sculpture aux surfaces découpées nettes et à la géométrie complexe. Un polyèdre en plâtre constellé d'inclusions en laiton livre à travers ses multiples plans, les tranches des cônes plongés dans la masse. Les étranges taches révèlent autant de variantes que de dessins mathématiques, cercle, ellipse, parabole, etc. Les sections aléatoires qui résultent de la découpe de la matière créent une mutitude de formes géométriques. L'art a en commun avec la logique et les mathématiques, la tautologie. L'appropriation de la négativité sert ici de ressort à la présence, comme un piège. Trancher dans le bloc a permis à la forme, au rythme du matériau d'accéder à une existence inédite, à la rencontre du mouvement du dedans et du dehors. Sur un fond flouté, vibrant, se détachent trois autres sculptures, issues du monde minéral. " Le cristal est à la fumée ce que l'ordre est à l'entropie, au chaos" cite volontiers Hubert Duprat en référence au biologiste et philosophe Henri Atlan.Une pièce réalisée en calcite s'élève sur un socle. Pur, translucide, le minéral naît d'une cristallisation dans un système rhomboédrique. Les nombreuses facettes sont ici autant de fragments assemblés en quinconce par l'artiste pour construire une sorte de micro-architecture aux propriétés optiques. Une tour à l'équilibre fragile diffracte la lumière et la décompose en prismes. La façade trouée structure la construction d'un lieu vide, symbolique, qui renvoie au coeur de nos subjectivités, vide recouvert par les apparences. Elle suggère "la sympathie qui paraît régner entre les formes complexes du monde minéral et les figures de l'imaginaire humain"1. La sculpture qui suit est un cylindre composé de pyrite, minéral struturé de cristaux parallépipédiques, communément appelé "l'or des fous" pour son éclat métallique. A la fois minimale et baroque comme beaucoup des oeuvres de Duprat, elle présente à l'intérieur une paroi lisse alors que l'extérieur joue sur l'irrégularité, l'accident. La préciosité et l'étrangeté de cet objet fascinent, il semble hors du temps, architecture géologique aussi complexe qu'épurée. La matière s'organise comme fragmentation d'éléments identiques et le principe d'assemblage semble relever d'un pari magique. Les rapports contradictoires tant au niveau de la forme que du matériau sont une manière de déplacer l'unité et de créer ainsi une extrème tension à la pièce. Maîtrise de la prolifération effervescente de la chose, empreinte du langage sur le magma originaire, du mirage du miroitement de la surface au sombre fond de la monade. La pierre n'a pas de sens pourtant le sens s'y heurte. En parallèle, un amas de magnétite s'impose par la densité de sa masse, assemblage d'une sorte de profusion monstrueuse. D'un noir brillant, le minéral naturellement aimanté absorbe et réfléchit la lumière. L'organisation vivante de la matière renvoie au grouillement du réel, à la figure foisonnante de la nature, présence quasi-obscène d'un corps idéal d'abjection. La contemplation intellectuelle s'oppose directement aux apparences séduisantes. "Plus grande est la beauté, plus profonde est la souillure" disait Bataille 2. Le passage entre nature et artifice s'opère comme une continuité, laissant l'imaginaire faire dériver les objets vers une reconnaissance. Ce qui apparaîssait de loin comme un mur doux et légèrement mouvant, se montre à proximité comme une constellation. Ce mur criblé de plomb rappelle l'intérêt d'Hubert Duprat pour les techniques de l'incrustation et de la marqueterie. Toutefois rien de précieux ici, la violence des tirs de carabine et de l'impact des projectiles sont perceptibles, reste visible la dégradation d'une surface excluant toute profondeur et élévation. Alors que dans l'histoire de l'art du XXème siècle, des artistes ont privilégié la provocation et l'aspect spectaculaire de ce type de performance, Hubert Duprat ne donne à voir des deux mille cinq cent coups de feux, qu'une vibration décorative. De l'exploration des matières se dégage un paysage halluciné qui joue sur les contrastes forts, entre violence et poésie, force et fragilité, noir et blanc...

Céline Mélissent

1- A propos de Roger Caillois, http://freenet-homepage.de/autres-espaces/caillois.html 2- Georges Bataille, L'érotisme, Edition de Minuit, 1957

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