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Genius loci et grandes idées

Einstein affirmait qu’on avait tout au plus une ou deux grandes idées dans sa vie. Mikhail Gromov, le père du « h-principe », en aurait eu cinq ou six sur la géométrie. Franck Scurti, pour un projet de commande publique en 2007, rend hommage aux idées de Charles Fourier et aux pommes qui l’ont inspiré. Ainsi, après la pomme d’Adam et Eve, celle de Pâris offerte à Aphrodite et celle de Newton, « La quatrième pomme » serait celle de son projet. Autant dire que, dans le domaine qui est le sien, l’artiste en question ne manque pas d’idées, et fait même de celles-ci le Zip de son art.

Scurti nous surprend encore et encore dans ses avancées, que ce soit en peinture, dessin, assemblage, photographie, sculpture, design, installation, vidéo, et même l’écrit. En 2008, invité par Jean de Loisy pour l’exposition Traces du sacré au Centre Georges Pompidou, il présente « De la création du monde jusqu’à nos jours », condensé d’une remarquable série de travaux sur papier, et une œuvre de prospection drôle et confondante. « La noix » personnifie l’emblème de cette fresque. Sa coquille est déclinée sous toutes ses formes allégoriques, dans ses relations à la métaphysique, au micro et au macrocosme, au big-bang, à la philosophie, au corps sexué et à l’a-poésie plastique. L’art de Scurti s’attache aussi bien à rabaisser des formes culturelles qu’à réévaluer le réel le plus bas, le plus plat, le plus banal et le plus courant qui soit, et à nous le retourner élevé à un réalisme ébouriffant, comme pour dénoncer sa fade imposture première. « J’ai souvent souhaité un nouveau réveil pour renaître, tout ressentir à nouveau, les joies, les peines et tout et tout », confiait le cinéaste Jean Eustache ; quelque chose de cette sorte se manifeste dans l’art qui nous concerne, une méthodologie qui réveille d’urgence ce réel. Déplaçant le sens des choses en modifiant leurs propriétés, l’artiste relie leurs qualités formelles inhérentes pour aboutir à une forme d’évidence.

La série de terres cuites réalisée pour le musée Pablo Picasso à Vallauris a subi à cru, au façonnage, d’étranges déformations. Des anamorphoses que l’artiste obtient en étranglant, à partir d’une pièce de révolution, le fût de terre à l’aide d’une ceinture de cuir, comme pour juguler l’hémorragie de sens d’un art de tradition ; puis le ceinturon est retiré et remis en place après cuisson, accusant le procédé. Les céramiques de la série « Empty World » ont la particularité d’avoir leur paroi intérieure habillée à la feuille d’or, chassant l’obscurité dans une lumière d’enchantement. D’autres poteries auront leur goulot interne saupoudré d’or natif, produisant l’effet, quasi alchimique, d’une éblouissante constellation en crise. Avec « Fingers of Steel », une nouvelle production de céramique est dévoilée.

C’est une sélection de rondins d’argile de longueurs diverses, directement sortis de la mélangeuse à terre de l’atelier, et cela juste après que l’artisan les a saisis de ses mains, laissant ses empreintes dans les mottes crues. Recouverte d’un biscuit nickelé avant une seconde cuisson, la terre en ressort armée d’une surface métallique miroitante, les traces de doigts figées dans l’acier, égard rendu à Thiers, la ville du métal. Et enfin Réplication, cet incroyable filament qui se répand dans tout le vide de l’espace, véritable genius loci échappé de l’une de ces cruches éventrées. Dans le passé, le génie du lieu, bon ou mauvais, était représenté sous forme d’enfant ailé, de jeune homme couronné, de vieillard barbu, voire de serpent vivant. Ici, son mouvement coloré et filiforme virevolte et se dessine en volutes et arabesques de fumée, promène ses deux filins dentés sur les deux niveaux du bâtiment. A bien y regarder, il s’agit simplement d’une fermeture à glissière, de ce qu’on appelle communément une fermeture Éclair, et qui là vaut aussi bien en tant que modèle dérisoire de la « réplication » de l’ADN. Au rez-de-chaussée, sa navette se referme sur une hélice inerte. Par Frédéric Bouglé, avril 2009

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Franck Scurti
REPLICATION