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Inlassablement, Cyprien Gaillard arpente le monde pour y traquer des ruines, anciennes et modernes. Des architectures, des paysages sur le point de disparaître, de se transformer, d’être détruits, envahis par la nature, ou bien encore des sites restaurés, des objets, des matériaux à l’abandon. L’artiste les photographie, les filme, les récupère, les met en scène dans des installations ou des performances. Il est, selon ses propres termes, « un artiste d’extérieur », un homme toujours dehors, mais aussi un archéologue, et encore un archiviste. Il avance avec une phrase du 18e siècle écrite par Denis Diderot : « Il faut ruiner un palais pour en faire un objet d’intérêt ». Pour observer, penser, voir véritablement les lieux, les bâtiments et les paysages qui nous entourent ou dans lesquels nous vivons, il faut les mettre à nu. Ainsi, l’artiste déstabilise notre perception des espaces, qu’ils soient ordinaires ou extraordinaires, exotiques ou quotidiens, qu’ils soient proches ou lointains. Il nous entraîne à voir autre chose, à regarder par-delà les visions convenues. Dans ce travail habité par les ruines, l’artiste n’a pourtant pas au départ une intention romantique, ni nostalgique : né en 1980, Cyprien Gaillard ne cherche pas à idéaliser un passé englouti ou sur le point de l’être. Plus sûrement, nous confrontant au chaos permanent qui habite le monde, à sa violence, il nous pose cette étrange question : « comment nous, individus, vivons avec nos ruines ? ».

Cyprien Gaillard est le Lauréat du Prix Marcel Duchamp 2010, en partenariat avec l’Association pour la Diffusion Internationale de l’Art français (ADIAF).

Deux plaques

À l’entrée de l’exposition-installation, deux plaques. L’une est en marbre de Tunisie, un marbre précieux, dans les tranches duquel se trouvent des fossiles. La seconde plaque est une vitre-miroir bleutée, sauvée de la démolition partielle du Forum des Halles entamée en 2010. Rapprochant ces deux plaques, Cyprien Gaillard confronte deux situations de destruction et rend floue toute hiérarchie supposée. Le proche côtoie le lointain. Mais aussi, par cette confrontation, l’artiste nous incite à voir le Forum des Halles (au nom qui évoque l’Antiquité) comme une carrière, une carrière moderne, en même temps qu’il annonce le programme de l’exposition : rapprocher des objets, des images, en vue de créer des distorsions tout à la fois historiques et géographiques.

U.R. (Underground Resistance and Urban Renewal)

Sur la vitre venue du Forum des Halles est sérigraphiée la lettre U ; sur la plaque de marbre, la lettre R. Rapprochées, ces deux lettres portent plusieurs sens entre lesquels – une fois encore – l’artiste n’établit aucune hiérarchie. D’abord, elles forment les initiales d’« Underground Resistance », un mythique label de musique techno de Detroit, ville industrielle américaine en déclin, où des quartiers entiers se trouvent aujourd’hui à l’abandon. Mais elles sont aussi les initiales de l’« Urban Renewal », le renouveau urbain, un programme de redéveloppement des villes entamé en Europe et aux États-Unis à la fin du 19e siècle, sous le coup des révolutions industrielles. Enfin, Ur est, en Irak, le nom d’une ville sacrée, lieu de naissance d’Abraham, où se trouve aujourd’hui un site archéologique, qui fait lui-même partie d’une base américaine. L’artiste s’y est rendu, a photographié le site, présent dans les « Geographical Analogies ».

« Geographical Analogies » (Analogies géographiques)

Entamé en 2006, ce travail est, selon les mots de l’artiste, « un atlas des ruines ». Il est aujourd’hui constitué d’une centaine de vitrines comprenant chacune neuf polaroïds. Une vue d’Égypte y côtoie un cimetière de Glasgow. Nanterre n’est pas loin de Massada. On y trouve aussi la tombe d’Hubert Robert, peintre des ruines du 18e siècle cher à l’artiste. Parfois évidents, les rapprochements sont aussi souvent secrets. Cyprien Gaillard prend modèle sur les vues fictives réalisées par Piranèse au 18e siècle. Fasciné par l’architecture et les ruines, l’artiste italien réalisait des « Caprices », des vues de Rome où se trouvaient rassemblés de manière factice des monuments et des éléments d’architecture.

Il y a, ici, coïncidence entre la forme et le sujet. Pour Cyprien Gaillard, les polaroïds, fragiles, vite fanés, sont des fragments archéologiques en devenir. Réalisés, développés sur place, instantanément, ils font aussi partie intégrante du lieu. Les présentant sous vitrine, l’artiste joue l’espace d’exposition comme un Musée d’Histoire naturelle où les paysages sont devenus des reliques, des objets figés, presque morts.

Structures péruviennes

Au centre de la salle sont présentées des structures en métal trouvées au Pérou, à Lima. Réalisées par des ferrailleurs locaux, elles servent à l’origine de présentoirs à enjoliveurs. Pour Cyprien Gaillard, l’enjoliveur est lui aussi – déjà – une sorte de fossile : l’un des ultimes avatars de l’histoire de l’ornement. La structure en croisillon des présentoirs rappelle la forme du losange visible dans les « Geographical Analogies », tandis que la référence à l’industrie automobile fait lien avec la ville de Detroit, évoquée par les lettres U.R.. Par une recomposition, un réarrangement, l’artiste détourne les présentoirs de leur usage pour en faire des sculptures. Modernes, ils réactivent cependant des formes incas. Par le jeu des rapprochements anachroniques, Cyprien Gaillard rejoue de manière critique un geste colonial, celui de la relocalisation d’objets exotiques dans un musée français. Ainsi, venue du Musée du Louvre, une tête sumérienne fait face aux structures péruviennes… Fragment d’un bas-relief, cette tête réfère implicitement à un geste de destruction. Ainsi symbolise-t-elle pour l’artiste une question justement liée à celle de la destruction : la préservation.

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Cyprien Gaillard
Kurator: Jean-Pierre Bordaz