press release only in german

Depuis longtemps, je suis fasciné par ces dessins de 1971 de Robert Smithson, « Underground Projection Room » (Utah Museum Plan), et « Towards the Development of a Cinema Cavern », qui proposent de recycler une ancienne mine en salle de cinéma souterraine et d’y projeter les étapes de sa construction. En 2002, nous avions présenté en deux temps l’exposition « L’art vu à distance » qui explorait les rapports entre art et télévision, d’abord à partir des collections vidéos du MNAM Centre Pompidou et, l’été suivant, sur la base historique du premier environnement multimédia (Le Corbusier/Xénakis/Varèse : pavillon Philips, Bruxelles 1958) et de la « fernseh-galerie » (galerie-télévision) de Gerry Schum.

En prolongement de ces deux précédents chapitres, nous souhaitons ouvrir cet automne un nouvel axe de réflexion consacré aux relations entre l’art et le cinéma et marquer ainsi notre implication dans l’événement « Pause » organisé pour la première fois cet automne en Limousin.

Les relations entre art et cinéma sont historiques, bien sûr, et on peu les faire remonter aux premières séances de films des frères Lumière, ou encore mieux aux premiers praxinoscopes et autres inventions qui essaient de conjuguer image et mouvement dès le XVlll ème siècle. On peut également parcourir cette relation entre cinéma et art (c’est à dire peinture, sculpture, architecture, mais aussi théâtre, littérature, musique et poésie) en lien avec l’évolution des techniques de l’image-mouvement : cinéma parlant, en couleurs, en 3D, en Odorama,… apparition de la télévision, en noir et blanc, puis en couleur avec le reformatage de certains films, puis de la vidéo sur support magnétique, du portapack, du digital, du numérique, etc. et vérifier qu’à chaque fois que de nouveaux outils apparaissent, les artistes s’en emparent. Et constater aussi que le 7ème art est celui de l’industrie, du taylorisme, de la séparation des activités entre le réalisateur, le scénariste, les acteurs, les photographes, les éclairagistes, les décorateurs, les maquilleurs, habilleurs, les preneurs de son, les monteurs, etc… et qu’il s’adresse à la foule, à la masse, jusqu’à devenir un véritable outil de propagande.

Pour organiser cette réflexion qui vise d’abord à explorer les collections du Frac Limousin, nous avons réfléchi en terme de format, aussi bien en tant que surface de projection qu’en tant que durée. Dans le cinéma, ne parle-t-on pas de court, moyen ou long métrage ?

Dans l’exposition, une salle de cinéma est reconstituée qui présente en séances des programmes de films de moyen métrage, avec un début et une fin. (films de la galerie du cartable, d’Olivier Leroi, Gabriele Di Matteo, Boyd Webb… )

Une autre petite salle plus étroite et plus sombre accueille des films courts, à caractère souvent expérimental, dans la lignée des films grattés, découpés, altérés par la chimie des premiers essais sur ce nouveau support, mais avec les techniques d’aujourd’hui, qui sont autant d’expériences sur l’image animée et sur les limites de la perception. On parle souvent d’art et essai pour le cinéma.

Entre ces deux espaces de diffusion, des vidéoprojections et autres sculptures vidéos sont présentées. Elles ont pour point commun d’être des « loops », des boucles de plus ou moins longue durée,

et proposent au spectateur une relation décontractée, sans début ni fin, où il peut accèder à l’oeuvre en cours et la quitter quand il le souhaite. Des vidéo-projections monumentales et souvent paysagères conduisent le visiteur de Nice (Durand) à Saint Tropez (Raffray), puis à Brooklyn (Bertrand) et Bamako (Pichard), en voiture sous la neige (Tribe) et près d’une ville scandinave (Köner), puis dans un magasin d’une nature plurielle (Mahé), avant de s’approcher d’un tapis animé en forme de jeu vidéo (Aubry), d’un tonneau transformé en salle de cinéma individuelle (Sabrier) et de finir tout près d’un fleuve majestueux, le Rhône (Toulemonde). Un voyage qui rappellera à certains le déroulement proposé dans l’exposition « Où sommes-nous ? Paysages avec (ou sans) personnage(s) » durant l’été 2005. Enfin, en contrepoint, quelques œuvres fixes et muettes (dessins, peintures, affiches, photographies) qui croisent le cinéma, son histoire ou ses poncifs, ponctuent le parcours.

L’exposition « le couloir des miroirs » est conçue comme une succession de séquences où l’on peut flâner devant une large vidéoprojection environnementale, lente comme un papier peint, ou être captivé pendant une ou deux minutes par un effet visuel et/ou sonore, s’asseoir dans une cabine optique, errer encore, enfin s’arrêter pendant quinze ou vingt minutes pour visionner un film. Dans sa conception, elle s’appuie surtout sur le modèle de la plus récente somme présentée sur le sujet, l’exposition « Hall of mirrors, art & film since 1945 » MOCA Los Angeles 1996, où trente artistes visuels (parmi lesquels Marclay, Messager, Ruppersberg, Ruscha, Sherman … pour ne citer que des artistes présents dans notre collection) étaient présentés en même temps que trente cinéastes (de Fellini à Godard, de Scorcese à Truffaut) avec projections de films et photos de plateau à l’appui. A Hollywood, le casting était majoritairement américain, surtout pour les artistes « visuels ». En toute modestie, il s’agit pour nous d’utiliser ce modèle comparatif entre cinéma et art pour explorer, par le biais des formats (espaces de projection et durée), notre relation à l’image animée et donner envie à chaque spectateur, cinéphile et/ou téléphage, d’y faire une « pause ».

En complément de l’exposition, trois lectures d’exposition sont proposées : par Yannick Miloux, directeur du Frac Limousin, Patrick Javault, critique d’art et membre du Comité Technique du Frac Limousin et Michel Aubry, artiste, pour une soirée « Répliqüres ».

Chaque samedi, de 15h à 17h, un directeur de Frac présente une sélection de films et vidéos de la collection dont il a la charge (programme détaillé sur le site internet du Frac).

Si le projet de transformer une ancienne mine en « caverne cinéma » inaugure ce texte, au moment de l’achever, je repense à un fameux extrait d’Alphaville de Jean-Luc Godard où Eddie Constantine ouvre une succession de portes. C’est peut-être aussi cela, le couloir des miroirs.

Yannick Miloux, octobre 2008